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"Courber La Tête Dans Les Camps Japonais"

par : Lydia Chagoll

Titre orginal 'Zes jaren, zes maanden'
paru chez Standaard - Anvers, 1981

Couverture Liliane Pauwels

Photocomposition et impression EPO asbl

D 2204 1989 5
ISBN 2 87262 031 1

© Lydia Chagoll
1989, Les Editions EPO
Lange Pastoorstraat 25-27
2600 Anvers - Berchem
Tél.: 03/239.68.74


Lydia Chagoll

Courber la tête dans les camps japonais

Les souvenirs d'une enfant qui échappe aux nazis pour aboutir dans les camps japonais.

trâduit du néerlandais par L. Gautier
Les Editions EPO


En 1974 je me suis mise à rédiger ces souvenirs d'une enfant ayant échappé aux nazis pour aboutir dans des Camps japonais.

A mi-chemin j'ai abandonné. Le sort de rallions d'enfants sous l'occupation nazie me semblait bien plus important que le mien sous l'occupation japonaise.

Durant trois ans j'ai travaillé à la réalisation du film 'Au nom du Führer', sorti en 1979. Mais, puisque j'aime mener les choses jusqu'au bout, je me suis décidée à reprendre la rédaction de ce livre là où je l'avais laissé.

''Hélas, mes notes et la plus grande partie du manuscrit inachevé furent volés. Tout était à recommencer. Et j'ai recommencé. Parce que je me suis dit que cet ouvrage pouvait rendre service. Savoir que ces événements ont effectivement eu lieu et que, dans certaines parties du monde, il y a toujours des enfants derrière des barbelés. Des enfants privés de liberté, oubliés du monde, tandis que la vie ailleurs continue normalement.

Lydia Chagoll
auteur de 'Hirohito,
empereur du Japon.
Un criminel de guerre
oublié?'
(EPO, 1988)

TABLE DES MATTIÈRES


INTRODUCTION 5
Concentration

I.
BRUXELLES - BATAVIA 9
La petite hollandaise - La fuite - Couvents - Payer - Un mois de guerre - Pau - Les juifs restent à l'arrière - Le Château - Mon pépé et un autre homme - Suicide - Visa de transit - Des Noirs - Blanc mais pas riche - Batavia -


II.
SORTIS D'UN GUERRE, ENTRES DANS UNE AUTRE 25
Sortis d'une guerre, entrés dans une autre - Tjideng-Adek via...


III.
TJIDENG - LE PREMIER CAMP 35
Le camp résidentiel - La politique de l'autruche - Warong Kita - Patinage - Monter de classe - Tremblement de terre - Cette chose-Là - Blackey -


IV.
GROGOL - LE DEUXIEME CAMP 47
Le camp aux baraquements sans fenêtres - Kjotské - Le tricot - Loisirs - Puer - Enfant de camp - Soeur B. - Mademoiselle Vous-me-faites-chier - L'album de coupures - Féminité - L'infirmière E. - Jardin d'enfants - Ma mère pleurait - 175 florins - La différence - Danny - La malédiction silencieuse - Lekas-Lekas - Les vers - Courrier - En déplacement -


V.
TJIDENG II - LE TROISIEME CAMP 73
Garde-à-vous - La jeune femme grise - Sonei - Le peuple élu - Une ou six semaines -


VI.
TANGERANG - LE QUATRIEME CAMP 79
Un mètre quatre-vingts sur deux mètres - Manassé - Un nouveau mot - Chrétiens-Juifs-Francs-maçons - Les intellectuelles - Le troisième monde - Partage équitable - Yoga - Szymon-Simon-Sjimme - Le docteur se tenait les fesses - Les Irakiennes - La broche de ma mère - S'instruire - Le serpent - Du blanc au jaune - Les rats - La femme du rabbin - Le berceau sans visites - Lydia - En déplacement -


VII.
NOTES 107
La salle d'attente - Hiérarchie - Le passé pour l'avenir - Anonymat -28 mois - Brossage des dents - Dans tous les barraquements, la même chose - Du bon beurre - Remplir son estomac - Tout en ordre - Variations et motifs - Espacve vital - Corvées - Mains féminines - Politique - Prestige féminin - Solidarité - Numéro un - Pères - Larmes - Injure - Amitié - Relativité -


VIII.
ADEK - LE CINQUIEME CAMP 121
Diaspora - Affaire d'honneur - Possessions - L'eau - Partager - Taper sur le clou - Voleuse - Une papaye au sel, avec l'écorce - L'accouchement - Boulevard Lambermont - Appel punitif - Sueur d'angoisse - Doute - Humiliation - Ralenti - Un jour dans Adek -


IX.
LA LIBERATION 135
La guerre était finie - Des hommes avec un turban - L'oiseau de malheur - Le jardin zoologique - Sonja - La fête de la libération - La feuille "Orange" -


X.
RETOUR 143
Singapour - Liberté: dormir-manger-nager - Hourra, nous sommes de retour - Se réadapter - Maison hollandaise - Le chat sauvage - Hilversum - Bruxelles - Mon premier jour de classe - RéVolte - Chat et souris - Le silence n'est pas d'or -


XI.
REFLEXIONS 157
Notion de temps - Entretemps - Hiroshima - La deuxième guerre mondiale - Vie et mort - Catégories - Les chambres à gaz - Pourquoi - La deuxième peau - Enfants - Pourquoi ma vie? - Curriculum vitae - Constat -


DATES HISTORIQUES 167

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Concentration

Tandis que je regardais les rushs dans une salle de projection, l'auteur dont l'oeuvre était à l'origine du film, faisait tout haut ses commentaires. A un moment donné —c'était à propos du jeu de l'un des comédiens—il répéta plusieurs fois le mot 'concentration'.

Concentration.

Le mot me pénétra lentement, très lentement. Il était, pour moi, incomplet. En néerlandais, je ne le connaissais que joint au mot camp. Camp de concentration.

Camp de concentration, je comprenais, cela avait un sens pour moi, signifiait quelque chose à mes yeux. Dans les camps de concentration, des gens étaient détenus, des gens étaient humiliés. Dans les camps de concentration, les prisonniers ne se gênaient pas pour se voler, pour s'exploiter, pour s'injurier et se souhaiter la mort. Dans les camps de concentration, l'homme dégénérait.

Camp de concentration.

L'oublier, ou mieux, l'enterrer. Ne jamais en parler. Ne jamais y penser. Ne pas s'y attarder. Faire comme si cela n'existait pas.

Et maintenant, en 1973, vingt-huit ans plus tard, je découvrais que le mot 'concentration' était un concept en lui-même, un concept qu'il était possible de couper du mot camp, que ces deux mots pouvaient exister séparément.

Un nuage devait flotter dans ma tête —ou était-ce du brouillard?— Un amas de brume dont je n'avais pas conscience et qui se retirait parce que j'étais arrivée au point de maturité, parce que je pouvais regarder le passé dans le blanc des yeux, sans être tentée de tout détruire, moi y comprise.

Dans mes souvenirs sont ciselées des successions d'images. Ineffaçables. Impressions gravées dans mon cerveau comme des photos, la plupart en noir et blanc, quelques-unes en couleurs, toutes grandeur nature.

J'avais presque neuf ans quand la guerre éclata.

En 1940, nous avons fui la Belgique, mes parents, ma soeur — de trois ans mon aînée — et moi.

En 1942, nous nous sommes retrouvés derrière des barbelés dans les Indes néerlandaises. Mon père comme prisonnier de guerre, nous dans un camp de concentration pour blancs.

Nous étions parvenus à échapper aux Allemands.

Nous n'avons pu nous soustraire à l'occupation japonaise.

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